Mon amie Ada a émigré au Canada en avril. Entre deux rédactions de CV à la con, elle fait découvrir à son public français les bizarreries locales. La semaine dernière, elle m'a lancé un défi que je ne pouvais pas ne pas relever : goûter une spécialité culinaire qui pourrait figurer dans un épisode de Jackass. (Lecteur curieux, je suis certaine que tu te demandes comment il est possible de faire la promo de Jackass et de préoccupations écologiques dans un même blog, voire dans une même personne. Je me pose parfois moi-même la question. D'abord, tenter d'être écologiquement responsable ne signifie pas être dénué de tout vice humain, notamment celui qui consiste à se marrer en voyant quelqu'un tomber. Enfin, si on cherche bien, on peut voir chez Knoxville et ses camarades l'aboutissement trash et débile ultime de la société de consommation, où de jeunes garçons bien portants ayant tout ce qu'ils peuvent souhaiter sont réduits à mener leur quête de sens dans le fond des chiottes. Jackass est très, très subversif, finalement.)
Mais voici donc la recette du Beer Butt Chicken selon Ada, autrement dit le poulet à la canette dans l'cul.
UN.Videz 1/3 de bière dans votre gosier. Enfoncez les deux autres tiers et leur contenant dans l'intimité d'un poulet. N'ayez pas peur de forcer et d'écarter ses tites papattes pour que ça se passe mieux. Inutile en revanche de faciliter la manipulation avec du gel à base d'huile ou d'eau, car d'une part la bête est morte (oui hein, déconnez pas, tuez la avant sinon c'est moralement répréhensible et il ne faut pas le faire, non c'est mal !) et d'autre part à moins que ce ne soit de l'huile d'olive ça laisserait un goût.
N'étant pas totalement inconsciente, j'ai cherché avant de m'exécuter si des cas d'empoisonnement par dégagement de toxiques de ferraille et de peinture étaient répertoriés. Il semble que non. Et tous les amateurs de la recette sont unanimes : ça craint rien ! Moui... J'ai finalement décidé que si risque il y avait, ça me ferait une mort rigolote, ce qui n'est pas donné à tout le monde. J'ai donc consciencieusement avalé un tiers de canette d'Heineken, avant de percer quelques trous pour faciliter l'écoulement de la bibine. Puis je l'ai introduite comme indiqué. Huhuhu. (Voui, je sais, fallait une bière américaine, mais Intermarché était en rupture de Bud. So...)
DEUX. Si vous voulez la version américaine, tartinez le poulet de sucre (mettre du sucre sur la viande est d'ailleurs une grande constante de la bouffe locale et la base de 9 recettes sur 10), d'épices mal choisies et mal accordées, de condiments et légumes déshydratés (jamais de légumes frais malheureux !).Si vous êtes plus conservateurs et préférez une version européenne, bah c'est pas compliqué, on tartine de moutarde, on fourre à l'ail si il y a encore de la place, beurre, fleur de sel, poivre, et petites pommes de terre nouvelles.
Le mélange de sucre et d'épices mal choisies s'appelle sel à frotter. En voici la composition :
45g de cassonnade
30g de paprika
3cs de poivre
3 cs de gros sel
1 cs de sel de hickory (sel fumé local, dont je me suis passé)
2cc de poudre d'ail (remplacé par de l'ail frais haché)
2cc de poudre d'oignon (idem)
1cc de graines de céleri (pas mise)
1cc de piment de cayenne
J'ai badigeonné ma bestiole de ce mélange, vidé le surplus à l'intérieur, puis je l'ai installé sur un lit de courgettes, oignons, pommes de terre. Notez tout de suite que c'est beaucoup, beaucoup trop salé.
Poulet sur sa canette.
Poulet sur sa canette.
TROIS. Calez moi tout ça en trépied sur votre barbecue de compétition (notez qu'un four fera très bien l'affaire) et laissez griller la pauvre bête. Evitez de trop la regarder du coin de l'oeil, elle doit déjà se sentir assez mal comme ça.
Après réflexion, j'ai choisi la cuisson au four. Je me voyais mal faire un feu de bois pendant deux heures, compte tenu de la quantité de bois et la surveillance nécessaire. J'avais juste oublié que les canadiens font des barbecues au gaz, les petits joueurs. J'ai donc enfourné le poulet, assis sur sa canette et les légumes 1h30 au four, th 7.
QUATRE. Avec la chaleur, la bière remonte de la canette comme elle le ferait de l'oesophage de n'importe quel Anglais ou Belge en fin de soirée. Tapissant ainsi le volatile et arrosant la viande comme on arrose un tapis persan.
Effectivement, ce mode de cuisson est vachement mieux que le poulet couché sur ses ti légumes. A l'horizontale, le poulet baigne dans son jus, ce qui lui ramollit le ventre tandis que son dos crame et vous oblige à l'arroser régulièrement, en exposant votre visage délicat aux 210° du four et aux fumées qui s'en dégagent. Debout, le jus de poulet arrose les légumes qui cuisent nickel, et le poulet est rôti juste bien. Comme avec une rotissoire, certes, mais quand on n'en a pas, la canette fait pas mal. En revanche, je n'ai pas trouvé le gout de la bière.
CINQ. Après cuisson retirez la canette en douceur et remerciez votre poulet pour sa coopération. Huhu.
Poulet parfaitement rôti et définitivement humilié.
SIX. Etonnament le plaisir vient après l'étape CINQ.
Et ben, oui, c'est vachement bon. Mais les lauriers sont plus à rendre aux épices qu'à la bière. On n'en sent pas le goût. Vient-ce de l'usage d'une bière trop soft ? J'essayerai la prochaine fois avec une bière plus couillue, mais j'ai peur que ça donne alors trop d'amertume.
Par pitié, si vous essayez, diminuez de moitié au moins la quantité de sel, et surtout ne salez pas les légumes. Le jus du poulet récupère celui du mélange d'épices avant de venir s'ajouter à celui du plat.
Pour la version barbecue, je retiens l'idée du mélange d'épices à badigeonner (j'imagine bien une version indienne, orientale, mexicaine...) sur des cuisses, qui ont un temps de cuisson raisonnable.
Et voila un dimanche réussi : une matinée à ricaner en préparant le poulet, un repas agréable et un après-midi à boire des bières pour faire passer le sel, devant la finale de Roland Garros. Merci Ada !
1 commentaire:
J'ai adoré ta description. Je me suis bidonné , et de plus le poulet était très bon
Merci
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