5.6.07

Auto-stop, sosies et légendes urbaines.

En allant bosser ce matin, j'ai pris une femme en stop. Je n'avais jamais fait ça, pas particulièrement par crainte d'être détroussée, mais plutôt parce que je n'en voyais pas l'intérêt.

Ce matin, j'ai aperçue mon auto-stoppeuse de loin. J'ai eu le temps de penser qu'elle devait être en panne pour faire du stop seule sur une route aussi déserte. A aucun moment il ne m'est venue à l'idée qu'elle pouvait voyager comme ça par choix. Arrivée à sa hauteur, sa ressemblance avec ma copine Isa m'a interpellée à tel point que je me suis demandé ce qu'elle foutait là ( alors que chacun sait qu'elle est en clinique en train de se faire changer les os). Je me suis arrêtée au frein à main sur le bas côté pour la faire monter.

Dès les premiers mots, la ressemblance s'est accentuée : même voix, même phrasé, même gestuelle, même façon d'être chez elle partout. Elle m'a appris qu'elle était attendue à Angoulêmes ce soir, soit à plus de 750 km d'ici, et qu'elle voyageait toujours en stop. Même méconnaissance de la logistique, même mépris du détail.
Elle m'a interrogée à son tour sur les motifs de mon trajet.
- Je vais travailler.
- A S ? Ca fait loin, tous les jours...
- Je n'y vais pas tous les jours. J'ai rendez-vous aujourd'hui dans une société.
- Vous êtes commerciale ?
- Mmmm... Je fais plutôt dans le contrôle fiscal. Mais le principe est le même : je passe du temps sur la route pour faire dépenser de l'argent aux gens contre leur volonté.
- Ah ouais... On doit pas vous attendre avec impatience, alors. Ben moi, j'ai un super contact avec le type des zimpôts de chez moi. Il a même des piercings. Vous aussi, vous êtes cool. Ils devraient vachement plus communiquer là dessus, ça faciliterait les relations. Parce qu'on a peur de vous, vous savez. Quand on a trop payé, on n'ose pas venir vous le dire parce qu'on a peur que vous nous trouviez autre chose de pire.


Habituée aux légendes urbaines qui entoure ma profession (ma seule présence près d'une femme enceinte peut rendre son enfant bossu, j'ai des pieds de bouc et je mange des chatons vivants), je me lance une fois de plus dans une explication qui ne peut que convaincre tant elle est rationnelle :
- Vous savez, on a une mission de service public comme les autres. On fait du répressif quand c'est nécessaire, mais avant, on se doit de faire de la pédagogie et de l'assistance.
- Ouais, mais vous savez, quoi... On a toujours peur que vous vouliez nous arnaquer.
- Pour ça, il faudrait qu'on y trouve un intérêt. Et comme on n'est pas payé au pourcentage... CQFD.
- Ben oui, mais juste parce que vous avez un esprit tordu et malsain, quoi. Sinon, vous auriez pas choisi ce taff.

Je m'esclaffe. Je suis vraiment admirative de sa capacité à débiter les yeux dans les yeux des clichés aussi négatifs, alors qu'elle est assise dans ma voiture, que je lui rend service et que je peux la balancer dans un ravin quand je veux. Je ne suis ni vexée ni en colère, juste sidérée de son naturel. Je sais qu'elle ne dit pas ça pour être désagréable, elle le dit parce qu'elle le pense, et que soit elle se fout totalement de ce que moi je pourrais en penser, soit elle n'en a même pas idée. A méditer les jours de grosse angoisse. Méditer aussi sur la force des préjugés qui nous tiennent éloignés les uns des autres, qui nous empêchent de croire que le stop et la carrière aux impôts peuvent être les choix de vie de personnes qui disposent de leurs pleines capacités mentales.


La conversation se poursuit gentillement sur les différents aspects de mon métier.
- Vous devez tomber sur de sacrés salauds, quand même. Des vrais truands.
- C'est assez rare. La grande majorité des gens ignorent simplement la loi. Mais c'est vrai qu'il y a aussi parfois une vraie volonté de frauder.
- Et comment vous le savez qu'ils z'ont fait exprès ?
Décidémment, mon métier semble la fasciner. Je me lance dans une grande explication où il est question d'expérience, de feeling, et de psychologie.
- On repère vite les gens qui sont de mauvaise foi. Ils se permettent beaucoup de choses parce qu'ils sont persuadés d'agir en impunité totale et qu'ils ont une vraie volonté de dissimuler. C'est ce qu'on appelle la théorie du passager clandestin : ils veulent profiter des avatanges que d'autres paient, sans jamais participer.
- C'est bon, je vais descendre ici.


Je repasserai pour la diplomatie, même si je n'ai pas voulu être désagréable non plus.
Moralité : Y a du boulot avant d'arriver au rapprochement entre les peuples.
Moralité bis : Celle qui se vexe le plus facilement n'est pas celle que l'on croit !



Photo by fil himself.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Héhéhé, ça doit être l'expression "passager clandestin" qui lui a mis la puce à l'oreille, à moins tout simplement qu'elle ne se soit clairement reconnue dans la description du morpion (bah ouais ça fait un peu morpion quand même) que tu as dressé des profiteurs sans-gêne ni scrupules ;-) Drôle et instructif en tout cas !

Mel a dit…

C'est terrible quand les mots ne prennent pas le même sens pour celui qui les entend que pour celui qui les prononce.
Par sa réaction, j'ai eu l'impression d'avoir tenu un grand discours sur "la France qui triche" (sujet totalement impartial diffusé sur TF1 3 jours avant le deuxième tour des présidentielles, soit dit en passant), d'être la réac de service.
Alors qu'objectivement, nous avions une discussion sur la fraude fiscale, et que mes propos étaient parfaitement justifiés dans ce contexte.
Que jamais il ne m'a traversé l'esprit que les auto-stoppeurs pouvaient être des passagers clandestins, puisqu'ils demandent l'autorisation de monter, qu'ils ne générent aucun surcoût (ma voiture dépense pareil si je suis seule ou à deux). Au contraire, c'est une version inorganisée du co-voiturage, que j'approuve largement. Je n'y ai jamais pensé pour moi parce que je n'ai pas le réflexe de compter sur les autres. Ca fait d'ailleurs partie des devoirs de vacances que m'a laissé le Dr G.

Cette histoire s'est déroulée trop vite pour que je sache un jour si j'ai réellemment commis un impair de langage ou si c'est elle qui a mal interprété. Ce que j'en retiens, c'est qu'une fois la surprise passée, je ne me suis pas minée toute la journée de savoir que j'avais pu offrir une mauvaise image de moi à une inconnue. Et que je n'ai pas été susceptible, moi. Et paf.